L’hypertension artérielle de la femme enceinte

L’hypertension artérielle de la femme enceinte

Les hypertensions de la grossesse demeurent une pathologie fréquente et une menace maternelle et faetale sérieuse. Le primum movens en est une anomalie de la placentation et de l’invasion trophoblastique. Ce trouble est précipité par divers facteurs favorisants : immunologiques, pathologie vasculaire préexistante, anomalies, génétiques ou non, de l’hémostase. Par des mécanismes encore peu clairs, il en résulte une activation endothéliale diffuse, une vasoconstriction systémique, et une tendance thrombotique marquée. Le traitement antihypertenseur n’est aucunement la réponse adéquate à cette situation, et son utilité est médiocre. Au contraire, son abus aggrave le pronostic ftal. L’abord thérapeutique de cette pathologie repose sur une prévention précoce. L’usage de l’aspirine, actuellement très répandu, fait l’objet de débats après plusieurs études négatives. Tout suggère que ce n’est pas l’efficacité de ce traitement qui est en cause, mais les modalités de son usage.

L’hypertension touche environ 10 à 15 % des femmes enceintes. Cette hypertension revêt l’aspect d’une pathologie grave dans 10 à 20 % des cas, c’est­à­dire 2 à 3 % des femmes enceintes, surtout lors de leur première grossesse. 

Définitions
Les désordres hypertensifs de la grossesse regroupent diversement 3 symptômes principaux : hypertension, protéinurie, œdèmes, auxquels il faut ajouter le syndrome hépatique.

1-La définition de l’hypertension chez la femme enceinte est débattue en raison de la baisse tensionnelle physiologique du début de grossesse. Certains la définissent par une augmentation de 30 mmHg ou plus à 2 examens successifs. La majorité préfère se fonder sur une valeur absolue de la diastolique. La valeur de 90 mmHg à au moins 2 consultations successives est habituellement retenue .

2-La protéinurie est, elle aussi, définie diversement .  La protéinurie est dite « significative » si elle excède 0,5 ou 1 g/24 h. 

3-Les œdèmes sont le 3e élément de la triade classique. Ils sont souvent diffus, touchant les membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la face. En fait, ils n’ont aucune signification pronostique propre, mais leur caractère massif et leur constitution très brusque peuvent cependant représenter un signe d’alarme.

Syndrome HELLP :un syndrome essentiellement biologique  décrit, en 1982, par Weinstein:

  1. une hémolyse intravasculaire modérée –Hemolysis
  2. une élévation des transaminasese –Elevated Liver enzymes
  3. une thrombopénie  –Low Platelet count .

Ce syndrome est généralement considéré comme une variante de la prééclampsie.

L’articulation de ces différents symptômes a conduit à diverses classifications, dont aucune à vrai dire n’est satisfaisante. Retenons celle proposée par un comité de la Société Internationale pour l’étude de l’Hypertension de la Grossesse (ISSHP) , qui a le mérite de s’en tenir à des définitions purement sémiologiques. 

La prééclampsie C’est l’association d’une hypertension avec une protéinurie significative (surtout si elle dépasse 1 g/24 h) , qui est une entité sémiologique, avec une implication pronostique majeure à court terme, qui est un risque particulièrement élevé d’accident maternel (hématome rétro­placentaire, éclampsie) et de mort fœtale tableau I .

Les hypertensions sans protéinurie se répartissent en hypertensions gravidique ou chronique suivant que la pression artérielle était ou non connue normale avant la grossesse. La plupart des auteurs admettent en fait qu’une hypertension découverte dès le 1er trimestre a de bonnes chances d’être une hypertension chronique. Ces hypertensions ont un pronostic immédiat bien plus favorable que la prééclampsie.

La protéinurie sans hypertension, ou au moins la précédant largement. Une protéinurie discrète peut relever de la seule augmentation physiologique de la filtration glomérulaire. Une protéinurie supérieure à 1 g/24 h relève très probablement d’une néphropathie autonome, découverte à l’occasion de la grossesse.

Physiopathologie
Données expérimentales
Aucun modèle d’hypertension expérimentale ne compromet le déroulement de la gestation chez l’animal, sauf circonstances extrêmes. Quels que soient les chiffres tensionnels, les petits naissent à un terme normal et avec un poids normal. A l’inverse, une ischémie placentaire aiguë ou chronique entraîne une hypertension, une protéinurie, et des lésions rénales comparables à celles observées dans la maladie humaine . Hypertension et protéinurie disparaissent aussitôt après la parturition. De ces données expérimentales il est possible de conclure que c’est l’insuffisance placentaire qui est responsable de l’hypertension, et non l’inverse.

Primauté de l’insuffisance placentaire en clinique humaine
Un argument remarquable en faveur de la primauté du placenta a été apporté par l’observation clinique d’une femme porteuse d’une prééclampsie au cours d’une grossesse intra­abdominale. Le placenta a été laissé en place lors de l’extraction fœtale. Tous les signes de la prééclampsie ont persisté, jusqu’au 99e jour où une seconde intervention a été pratiquée pour retirer le placenta. Les symptômes se sont alors rapidement amendés, et la patiente est restée normotendue et sans protéinurie durant un suivi de 25 ans .

Il a été montré que des lésions vasculaires du placenta se constituent vers 16 semaines lorsqu’une prééclampsie doit survenir dans le 3e trimestre . Il s’agit d’un défaut de la seconde invasion trophoblastique des artères spiralées du myomètre. Cette colonisation supprime normalement l’endothélium et le tissu élastique et musculaire, entraînant donc, outre la perte des récepteurs hormonaux, une dilatation passive considérable, qui permet l’accroissement de débit nécessaire au bon déroulement de la grossesse. Si l’invasion trophoblastique est absente ou incomplète, il en résulte un débit insuffisant, avec comme conséquence une ischémie du placenta.

Cette anomalie de placentation est donc présente plusieurs mois avant les premières manifestations d’hypertension ou de protéinurie. La partie se joue alors en silence, et les symptômes n’apparaissent que lorsqu’elle est virtuellement perdue. Nous en verrons les conséquences thérapeutiques.

Facteurs étiologiques de l’insuffisance placentaire
Le mécanisme de l’insuffisance placentaire a peu de chances d’être univoque. C’est même probablement à cette étape que devrait se situer une classification pertinente.

L’hypothèse mécanique
L’ischémie placentaire peut résulter de la compression mécanique de l’aorte et/ou des artères utérines par l’utérus. Le rôle favorisant bien connu de la gémellarité et de l’hydramnios est ainsi facilement expliqué.

Pathologie vasculaire préexistante
Nombre de patientes atteintes d’hypertension gravidique sont en fait porteuses de lourds facteurs de risque vasculaire, génétiques et/ou métaboliques . Ces patientes ont toutes les raisons d’avoir des altérations vasculaires préalables à la grossesse. De fait, des lésions vasculaires rénales, parfois impressionnantes, leur ont été trouvées histologiquement, alors même qu’elles étaient normotendues . On peut aisément concevoir que de telles lésions, probablement ubiquitaires, soient un obstacle majeur à une placentation normale.

Le conflit immunitaire parental
La grossesse requiert un état de tolérance immunitaire maternelle. Celle­ci a été reliée, notamment, à un système de facilitation par anticorps bloquants. Un tel processus requiert une immunisation maternelle contre des antigènes paternels. La réalité de celle­ci a été parfaitement établie.

Certains accidents gravidiques pourraient être dus à l’absence de cette facilitation, donc à l’absence d’immunisation maternelle. Ils pourraient être expliqués par une histocompatibilité élevée entre père et mère, dans un locus du système HLA. Ce fait expliquerait la constatation que l’hypertension gravidique apparaissant pour la première fois chez une multipare est souvent associée à un changement de partenaire, et également que des transfusions préalables protègent de l’hypertension gravidique.

Dans le même ordre d’idée, il a été rapporté récemment une moindre fréquence de pré­éclampsie lorsque la « cohabitation sexuelle » du couple a été plus longue, que lors de conceptions précoces dans un couple récent . De même, le type de contraception pourrait influer sur le risque de prééclampsie. Plusieurs études ont abouti à la conclusion que la contraception « barrière » (préservatif par exemple) exposerait plus à la prééclampsie que la contraception œstro­progestative orale. Ce point néanmoins ne fait pas l’unanimité.

Les pathologies sous­jacentes
Il est connu que certaines maladies, vasculaires par essence, telles l’hypertension chronique ou le diabète majorent le risque de prééclampsie. Tel est le cas également du lupus et d’autres affections auto­immunes, qui sont habituellement connues avant la grossesse ou dont les symptômes, à tout le moins, sont immédiatement accessibles.

Mais certaines anomalies biologiques ont été également incriminées, qui peuvent être totalement asymptomatiques avant la grossesse, celle­ci étant alors le révélateur. Dekker et coll. ont montré, dans une série de patientes ayant eu une prééclampsie précoce et sévère, la grande fréquence d’une ou plusieurs des anomalies suivantes :

anticoagulant circulant ou antiphospholipide, déficit en protéines C ou S, résistance à la protéine C activée, hyperhomocystéinémie.L’association de ces 2 dernières 3 et 4 anomalies a été récemment rapportée comme pourvoyeuse d’accidents gravidiques majeurs.

Aspects génétiques
Il existe une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie. Chez certaines patientes ayant eu une éclampsie on retrouve des sœurs, la mère, ou une grand­mère ayant eu le même accident. Une analyse soigneuse de ces familles a fait suggérer naguère qu’il s’agirait d’une transmission monogénique.

De nos jours, l’éclampsie se fait rare. L’hypertension gravidique apparaît plus hétérogène qu’on ne le pensait à l’époque et les données des études génétiques sont moins claires. Par exemple, il a été rapporté une étude de 99 couples de jumelles monozygotes. Dix d’entre elles ont développé une prééclampsie, ce qui n’a été le cas pour aucune de leurs jumelles.

Récemment, Ward et coll.  ont rapporté une association entre la prééclampsie et une variante du gène de l’angiotensinogène. Il s’agit à ce jour du seul gène­candidat qui a pu être sérieusement impliqué dans la prééclampsie. Il n’est sans doute pas étranger à l’hérédité hypertensive chez ces jeunes femmes, que nous avons évoquée plus haut.

Conséquences de l’insuffisance placentaire
La réduction de la perfusion placentaire consécutive à une implantation défectueuse est suivie d’une cascade d’anomalies qui témoignent d’une altération des fonctions endothéliales 

  1. une augmentation de la sensibilité aux hormones pressives,
  2. une activation de l’hémostase,
  3. une production de prostacycline diminuée, alors que celle de thromboxanes est intacte ou même accrue,
  4. l’apparition de marqueurs biochimiques endothéliaux tels que fibronectine, facteur Willebrand et facteur VIII
  5. un activateur endothélial capable d’induire une forte production de PDGF dans des cellules endothéliales en culture 

La médiation entre l’ischémie placentaire et l’activation endothéliale n’est pas bien comprise. Si la production de NO ne semble pas jouer un rôle critique dans la vasodilatation normalement associée à la grossesse , elle semble en revanche diminuée dans la prééclampsie et pourrait être impliquée dans le mécanisme de l’hypertension . McCarthy et coll.  ont montré que la relaxation endothélium dépendante induite par l’acétylcholine est fortement diminuée chez les femmes porteuses d’une prééclampsie. Diverses études ont par ailleurs établi que le plasma de femmes prééclamptiques inhibe fortement la prolifération de cellules endothéliales en culture . Il en est de même de microvésicules syncitio­trophoblastiques ajoutées à un plasma normal. Il est connu que lors de toute grossesse des cellules du syncitiotrophoblaste sont libérées dans la circulation maternelle, et que ce relargage est considérablement accru lors de la prééclampsie. Smarason et coll. ont montré que ces cellules suppriment la prolifération des cellules endothéliales en culture et rompent la couche cellulaire de la culture. Il est donc possible qu’une substance, non encore identifiée (une de plus), contenue dans le syncitiotrophoblaste, soit à l’origine du trouble endothélial systémique observé.

Traitement
L’abaissement de la pression artérielle ne saurait être une fin en soi, ni un motif de satisfaction. Ce n’est qu’un critère d’appréciation intermédiaire, voire marginal. Pour l’hypertendu essentiel, le critère final est la diminution du risque d’événements cardio­vasculaires majeurs, et de la mortalité. 

Chez une femme enceinte le but recherché est double :

  1. réduire si faire se peut la fréquence des complications maternelles (HRP, éclampsie…)
  2.  réduire les complications fœtales, prématurité, retard de croissance, et mort fœtale.

Le bien­fondé de la question est attesté par les données expérimentales : une réduction drastique de la pression artérielle (injection de diazoxide) est accompagnée d’une chute impressionnante du débit sanguin utérin. Il n’est malheureusement pas exceptionnel de voir des situations cliniques reproduisant trop bien ce « modèle expérimental». En revanche, l’abaissement progressif de la pression artérielle n’altère que peu le débit utérin.

Mesures générales
Le repos physique et psychique est une des rares mesures dont l’utilité ne fait aucun doute. Le repos au lit, de préférence en décubitus latéral gauche, abaisse les chiffres tensionnels, et est bénéfique à la croissance fœtale. Il est évidemment tributaire des possibilités matérielles de la patiente (conditions de logement, présence d’autres enfants…). Aucune mesure diététique n’a fait à ce jour la preuve d’une utilité substantielle.

Le traitement médical de l’HTA
Les considérations physiopathologiques rappelées ci­dessus expliquent fort bien le peu d’effets positifs du traitement antihypertenseur chez la femme enceinte. Qui plus est, lorsque le circuit placentaire est anormalement résistant, une baisse de pression dans ce circuit risque fort d’aboutir à une baisse de débit, préjudiciable à la croissance fœtale. Il nous faut cependant envisager 3 situations différentes.

L’hypertension chronique ou gestationnelle modérée
Les études contrôlées contre placebo n’ont dans l’ensemble montré aucun effet bénéfique du traitement . Une seule a montré une diminution de fréquence de la protéinurie, une autre une réduction de la fréquence des césariennes, mais sans aucune contrepartie en termes de pronostic fœtal. Deux études au contraire ont montré l’apparition d’un retard de croissance fœtale sous B­bloquant. Dans aucune étude la fréquence de l’éclampsie ou de l’hématome rétro­placentaire n’a été modifiée. Aucune étude n’a montré qu’une classe de médicaments serait supérieure à une autre. Il est donc clairement admis que l’abaissement de la pression artérielle ne modifie pas le pronostic fœtal. Il faut néanmoins nuancer ce propos du fait que, avec une mortalité périnatale de l’ordre de 2 % dans cette situation, il faudrait théoriquement un effectif de 2 000 patientes par groupe pour mettre en évidence une réduction de 50 % de la mortalité fœtale . Aucune étude n’a, évidemment, atteint des effectifs seulement approchants, si bien qu’un doute persiste sur l’utilité ou non du traitement, ou de la même manière sur son éventuelle nocivité.

En pratique, et jusqu’à une improbable étude levant ce doute, la plupart des auteurs ont tendance à s’abstenir d’antihypertenseurs chez ces patientes. Le bénéfice hypothétique que pourrait apporter ce traitement semble en effet inférieur au risque d’effets adverses résultant de traitements « abusifs ».

L’hypertension sévère
Ce type d’hypertension n’a pas bénéficié, comme les précédentes, d’études contrôlées. Deux études rétrospectives suggèrent néanmoins que lorsque la pression artérielle diastolique dépasse régulièrement 110 mmHg, le traitement antihypertenseur permet d’éviter certains accidents maternels, tels que les accidents vasculaires cérébraux, l’œdème pulmonaire, ou d’autres complications cardio­vasculaires . En revanche, rien ne permet de penser que ce traitement améliore le pronostic fœtal.

La limite n’est pas forcément aisée à trouver entre hypertension sévère ou non, voire même avec les fausses hypertensions (« blouse blanche ») dont la signification n’est pas claire. Certains auteurs utilisent actuellement la MAPA pour essayer de trancher ce débat. Notons que les normes de la MAPA chez la femme enceinte commencent à peine à être connues, et que le lien entre ces données et le pronostic fœtal n’a pas encore été étudié . Il est donc trop tôt pour en faire un instrument de routine, et les déductions thérapeutiques en sont hâtives. La MAPA peut néanmoins être une aide diagnostique utile dans les cas litigieux.

En pratique, le traitement antihypertenseur est donc licite, voire indispensable dans les hypertensions très sévères, à condition que cette « sévérité » soit établie sur plusieurs mesures, effectuées dans de bonnes conditions, lors de consultations différentes. Il ne faut pas néanmoins en attendre autre chose qu’une protection maternelle à court terme.

La prééclampsie
Le terme de prééclampsie est assurément galvaudé, et il en existe presque autant de définitions que d’articles qui lui sont consacrés, pourtant ils sont légion. Nous nous référerons ici à une pathologie grave, comportant une hypertension sévère et une protéinurie de grande abondance

Il s’agit donc de ce que les Anglo­Saxons qualifient de «severe preeclampsia ». Le terme de « mild preeclampsia » qui apparaît souvent dans la littérature correspond plutôt à des hypertensions modestes, soit isolées, soit associées à une protéinurie de débit très faible, dont le pronostic et les indications se rapprochent en tous points des hypertensions chroniques ou gestationnelles bénignes.

Cette affection comporte un maximum de risques maternels, et par ailleurs un pronostic fœtal désastreux, qui ne peuvent être évités que par une extraction fœtale rapide. Autant dire que le pronostic fœtal de la prééclampsie tient très largement à son terme d’apparition. Le traitement antihypertenseur est ici évidemment indiqué pour tenter de mettre la mère à l’abri de complications hémodynamiques graves (œdème pulmonaire…). Il ne faut pas cependant en attendre une amélioration du pronostic fœtal, ni une prévention de l’éclampsie ou de l’hématome rétroplacentaire. Par ailleurs, l’hypertension de la pré­éclampsie a tendance à échapper au traitement, ce qui génère une inflation continue de doses et de nombre de médicaments, dont le caractère auto­limité apparaît en général assez vite.

Conduite du traitement
Nous n’évoquerons pas ici les aspects de pharmacologie des antihypertenseurs, nous bornant à rappeler que :

Les diurétiques, limitant l’expansion volémique, ont un impact négatif sur la circulation placentaire. Ils sont d’autant plus nocifs que le volume plasmatique est abaissé, c’est­à­dire que l’hypertension est plus sévère.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont contre­indiqués.
Si l’usage des inhibiteurs calciques s’est largement répandu, il n’y a guère actuellement de données solides attestant de leur innocuité.

La conduite du traitement ne saurait être la même à tous les degrés de sévérité de la situation clinique. Il est cependant un point commun à toutes les situations : tans que le pronostic fœtal est pris en considération, la pression artérielle ne doit jamais être abaissée brusquement, ni profondément. Faute de respecter cette règle l’on s’expose au mieux à un retard de croissance dans un traitement chronique, ou au pire à une mort fœtale rapide dans un traitement aigu, complications qui seraient évitables en s’abstenant de précipitation et de zèle excessifs. Ce fait a été largement montré tant en expérimentation animale  qu’en clinique humaine .

Dans les hypertensions modestes, nous avons dit notre réticence à un traitement médicamenteux. Si cette option est néanmoins prise, le médicament de choix demeure (le modernisme dût­il ne pas y trouver son compte…) la méthyldopa, qui a une action progressive, titrable, et modérée, et qui a fait par ailleurs la preuve de son innocuité comme ne l’a faite aucun autre antihypertenseur sur ce terrain.

Dans les hypertensions plus sévères, la méthyldopa a peu de chances d’être suffisante. L’on peut alors utiliser un B­bloquant et/ou un inhibiteur calcique. La prazosine peut être également d’un appoint intéressant. L’hydralazine est assez efficace et d’une bonne sécurité, mais sa mauvaise tolérance en limite l’emploi. Il convient dans tous les cas de veiller à ne pas abaisser la pression artérielle en deçà de 140/90 mmHg environ, pour éviter le retard de croissance.

Les mêmes médicaments sont utilisés dans la prééclampsie. Ses formes sévères justifient le recours à la voie parentérale. Les produits les plus utilisés sont alors le labétalol et la nicardipine, en perfusion continue. La forme injectable de l’hydralazine reste néanmoins privi­légiée, voire exclusive, aux USA. Le recours à la nifédipine sublinguale, illogique, incontrôlable, et dangereux, devrait être proscrit en toutes circonstances. Là encore, la limite inférieure de 140/90, voire plus, doit être respectée.

Primauté du traitement obstétrical
Nous l’avons dit, le traitement médical de l’hypertension est le plus souvent décevant. Il ne change rien aux formes dont le pronostic est spontanément bénin, et ne permet de gagner que très peu de terrain dans les formes sévères. Si le pronostic maternel et fœtal dans l’hypertension gravidique s’est amélioré de manière importante, ce n’est donc pas lui qui peut en être crédité, mais les progrès qui ont été réalisés en matière de surveillance, et de tactique obstétricale. L’arrêt de la grossesse est en effet la seule mesure qui mette fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles. C’est donc cette décision qui doit être prise sans hésitation (pour autant que le terme le permette) dans les formes graves ou lorsque s’annonce une souffrance fœtale, sans placer dans le traitement médical un espoir qui a toutes chances d’être déçu. C’est là tout le sens de la surveillance médico­obstétricale très précise, qui est le seul gage d’un pronostic optimal.

Les traitements préventifs : l’aspirine
Si le primum movens de l’hypertension gravidique est l’ischémie placentaire, c’est sur le placenta qu’il faudrait agir, et agir tôt. Idéalement, un traitement préventif devrait avoir une action anti­thrombotique, et rétablir la balance entre prostacycline et thromboxane. L’aspirine à faible dose exerce sur les artères placentaires in vitro une bonne inhibition de la synthèse de thromboxane avec respect de celle de prostacycline. In vivo, elle entraîne chez la femme enceinte une réduction de l’élimination urinaire de thromboxane B2, sans modification de l’élimination de 6­keto­prostaglandine F1? ..

A la suite de notre étude pilote , diverses études contrôlées de traitement par l’aspirine au cours de grossesses « à haut risque » (incidence de la prééclampsie entre 10 et 30 %) ont montré une prévention remarquable de la prééclampsie et du retard de croissance fœtale . D’autres études, à plus vaste échelle, ont été conduites sur des patientes non ou peu sélectionnées. Deux études concernant une population homogène de primipares en bonne santé ont montré une prévention significative de la préeclampsie. Mais ces 2 études ont été réalisées dans des régions des USA où l’incidence de la prééclampsie de la primipare est particulièrement élevée (plus de 5 %). Deux autres études, européennes, portant sur de vastes cohortes hétérogènes de patientes à risque faible (incidence de 2 à 3 %), n’ont pas montré d’effet . Enfin une étude récente concernant des patientes réputées «à haut risque » a été négative également . En revanche, même négatives, ces lourdes études ont permis d’acquérir des données rassurantes sur la sécurité d’emploi de l’aspirine, pour la mère et pour l’enfant.

Ces données récentes ont semé quelque doute sur l’efficacité de l’aspirine. Ce doute ne paraît pas résister à une analyse sérieuse. Différentes études, de conception totalement différente, portant sur des populations autres (comportant même éventuellement une contre­sélection comme CLASP), ne peuvent être comparées entre elles sur un critère simple. De plus certains éléments comme la précocité du traitement, et peut­être sa dose, semblent cruciaux dans sa chance de succès . Une méta­analyse récente a montré que l’efficacité de l’aspirine résiste vaillamment, et qu’elle est très supérieure si le traitement est administré tôt et à dose suffisante . Le type de patientes ayant les meilleures chances d’en bénéficier est également à l’étude. Quoi qu’il en soit, il faut retenir de la négativité des études sur population à risque faible que l’usage de l’aspirine dans des indications élargies n’apporte pas de bénéfice majeur, et que ce traitement doit donc être réservé à des cas parfaitement ciblés.

L’avenir à long terme
Pronostic obstétrical
La tradition veut que les patientes ayant eu une hypertension isolée et/ou précoce au cours d’une grossesse soient exposées à une récidive presque systématique au fil des grossesses suivantes. Ce fait, bien qu’inconstant, s’explique aisément par le terrain vasculaire de ces patientes. Plus débattue est la signification de la prééclampsie « pure » de la primipare. Diverses études récentes ont montré que même dans ce cas, la plupart des grossesses suivantes sont au moins hypertensives, et la récidive de la prééclampsie elle­même n’est pas exceptionnelle . Par ailleurs, la récidive d’accidents majeurs (hématome rétroplacentaire, mort fœtale, retard de croissance) est rare mais possible. Il ne s’agit donc manifestement pas d’une pathologie spécifique de la 1re grossesse et ne faisant courir aucun risque pour les grossesses ultérieures. Il convient d’en tenir le plus grand compte pour la gestion de ces grossesses.

Pronostic vasculaire
Les nombreuses études réalisées permettent de tenir pour certain que l’hypertension au cours de la grossesse (préeclamptique ou non, 1re grossesse ou non) démasque dans un très grand nombre de cas une tendance hypertensive qui se révélera à plus ou moins long terme . La probabilité en serait plus élevée en cas de préeclampsie précoce (avant 30 semaines) ou récidivante, ou survenant chez une multipare. Ce fait est essentiel pour le suivi médical ultérieur de ces jeunes femmes.

Conclusions
L’hypertension de la grossesse est une affection fréquente, et reste une cause majeure de mortalité et morbidité maternelle et fœtale. Sa physiopathologie demeure mal comprise, mais des progrès récents, axés sur une pathologie précoce et diffuse de l’endothélium, liée à un trouble de l’insertion du placenta, ont permis une avance significative des connaissances. Le traitement symptomatique n’apporte aucune amélioration du pronostic de ces grossesses, mais peut protéger les mères contre des accidents aigus (cardiaques ou cérébraux) si l’hypertension est particulièrement sévère. Les traitements préventifs, en particulier l’aspirine à faible dose, à condition d’être utilisés tôt dans la grossesse, peuvent améliorer très sensiblement ce pronostic. Enfin nombre des patientes ayant souffert de cette affection auront des accidents récidivants au fil des grossesses, et sont de futures hypertendues.

Classification des hypertensions de la grossesse 

Protéinurie significative Non Oui 
PA normale avant la grossesse Hypertension gravidique Prééclampsie 
PA anormale avant la grossesse Hypertension chronique Prééclampsie surajoutée 

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