Rhumatologie: Arthrose
Maladie de Paget osseuse
La maladie osseuse de Paget décrite en 1876 par Sir James Paget, est une ostéopathie bénigne, localisée à plusieurs pièces osseuses, caractérisée par un dérèglement focal du remodelage osseux conduisant à une hypertrophie des os et une structure osseuse anormale.
Ces anomalies peuvent rester asymptomatiques ou entraîner des douleurs et des déformations.
La progression locale de la maladie conduit à des complications osseuses (fractures, dégénérescence sarcomateuse), articulaires (arthropathies pagétiques) ou neurologiques (souffrance médullaire, surdité…).
La maladie osseuse de Paget a bénéficié depuis 15 ans de grands progrès thérapeutiques grâce aux bisphosphonates.
Diagnostic :
A – Terrain :
La maladie est pratiquement absente en Asie et au Moyen-Orient et s’observe surtout en Europe, aux États-Unis, en Australie, Nouvelle-Zélande.
Anatomiquement elle est présente dans ces pays chez 2 à 3 % des sujets âgés de plus de 55 ans, mais n’est symptomatique que chez 5 à 30 % des patients.
Il existe une discrète prédominance masculine et une prédisposition familiale.
L’origine virale de la maladie osseuse de Paget, impliquant des paramyxovirus (rougeole, virus respiratoire syncytial, virus de la maladie de Carré du chien) est probable mais non certaine.
Un site du chromosome humain 18Q pourrait être prédisposant et représenter le support d’un déterminant génétique de la maladie osseuse de Paget.
B – Signes cliniques :
La maladie osseuse de Paget se révèle habituellement par des douleurs et (ou) des déformations, parfois d’emblée par une complication.
1- Douleurs :
Les douleurs représentent le signe d’appel le plus précoce et le plus fréquent mais n’ont rien de spécifique.
Elles peuvent relever de trois mécanismes :
• douleurs d’origine directement osseuse, siégeant sur une diaphyse, le bassin, le crâne.
Elles sont d’intensité modérée mais profondes, permanentes, tenaces, souvent accompagnées d’une sensation de chaleur locale.
Elles réagiront bien au traitement de fond de la maladie ;
• douleurs d’origine articulaire, mécaniques, localisées au niveau des hanches, des genoux, des chevilles, du rachis ou d’autres articulations, témoignant déjà d’un retentissement articulaire de la maladie.
Elles sont aussi fréquentes que les douleurs osseuses mais répondront moins bien au traitement ;
• douleurs d’origine neurologique par souffrance radiculaire, tronculaire ou médullaire, par compression mécanique ou hémo-détournement en faveur des pièces osseuses.
Ce type de douleurs est rare, observé chez environ 5 % des pagétiques.
2- Déformations osseuses localisées :
Elles sont très évocatrices du diagnostic mais sont inconstantes.
• L’hypertrophie osseuse du crâne
– qui peut amener le malade à utiliser des coiffures de pointures croissantes
– porte surtout sur les bosses frontales et les pariétaux.
Le massif facial est rarement atteint, mais peut entraîner une hypertrophie faciale, des problèmes dentaires et, au stade extrême, une leontiasis ossea.
L’hypertrophie crânienne s’accompagne souvent d’une nette dilatation des artères temporales superficielles.
• Les déformations des membres sont des incurvations arciformes assez caractéristiques touchant le tibia, déformé en crosse à convexité antéro-externe avec épaississement de la crête tibiale, le fémur, l’humérus, le radius.
• Les déformations du tronc sont caractérisées par une cyphose dorsale avec perte de taille, une saillie d’une clavicule, un élargissement du bassin.
C – Signes radiologiques :
1- Caractéristiques générales :
Les radiographies apportent la clé du diagnostic, en révélant des aspects très caractéristiques dont l’hypertrophie des pièces osseuses, élément le plus spécifique du diagnostic radiologique.
Elle doit être recherchée avec soin, en cas de doute, par mensuration comparative avec les os pairs ou adjacents non pagétiques. Les autres caractéristiques radiologiques générales sont les anomalies de structure et de densité.
Un épaississement des corticales et une densification de l’os spongieux induisent une dédifférenciation cortico-spongieuse.
Les anomalies de densité consistent souvent en une radiotransparence excessive au niveau des zones ostéoclastiques marquant le front de progression du processus pagétique et laissant place à une ostéocondensation hétérogène avec travées épaisses enchevêtrées de façon désordonnée.
2- Aspects radiologiques suivant la localisation :
• L’ostéoporose circonscrite du crâne est une zone radiotransparente fronto-pariétale ou occipitale asymétrique à limites nettes correspondant au front de résorption ostéoclastique.
Elle est peu à peu remplacée par un fort épaississement et une ostéocondensation floconneuse de la voûte crânienne, les tables n’étant plus reconnaissables de la diploé.
La base est souvent atteinte avec remaniements condensants des rochers et convexobasie par refoulement vers le haut du pourtour du trou obturateur.
Ces localisations sont bien mises en évidence par la tomodensitométrie.
• Les vertèbres lombaires sont plus souvent atteintes que les vertèbres dorsales.
L’atteinte peut être pluri- ou monovertébrale, l’aspect le plus caractéristique est celui de la vertèbre en cadre, liée à l’épaississement des plateaux et des murs vertébraux.
La vertèbre est hypertrophiée dans toutes ses dimensions horizontales et tend en revanche à se tasser progressivement.
La maladie osseuse de Paget peut être cause de blocs vertébraux surtout fréquents à l’étage dorsal, avec synostose acquise.
Ils sont souvent en cause dans les complications neurologiques avec rétrécissement du canal médullaire.
• Au bassin, l’atteinte iliaque est bilatérale dans environ 50 % des cas. Le détroit supérieur est souligné par l’épaississement des corticales.
Les ailes iliaques sont évasées. Le cotyle est densifié avec protrusion acétabulaire fréquente.
• Les os longs, sont le siège d’un élargissement et de l’incurvation des fûts diaphysaires, et on note la présence fréquente d’un V ostéolytique marquant le front de progression de la maladie et de fissures étagées de la corticale convexe.
Elles peuvent à l’occasion d’un traumatisme minime se transformer en fractures complètes.
La surveillance radiologique du V ostéolytique est utile pour évaluer l’efficacité des thérapeutiques anti-ostéoclastiques.
D – Scintigraphie osseuse :
C’est un examen initial fondamental pour établir lors de la prise en charge du pagétique la carte des localisations de la maladie.
Cet examen a une plus grande sensibilité que la radiologie, en particulier pour les os plats.
L’hyperfixation des marqueurs osseux sur le tissu pagétique est intense et peut être évaluée pour les os pairs par la mesure des rapports de fixation entre os sain et os pagétique par scintigraphie quantitative.
La scintigraphie permet d’identifier les foyers pagétiques asymptomatiques qui seront ensuite radiographiés et de confirmer la nature polyosseuse ou mono-osseuse de la maladie osseuse de Paget chez un patient donné.
Les formes mono-osseuses représentent selon les séries 5 à 30 % des cas.
Elles touchent souvent le tibia, l’os iliaque, le fémur.
La scintigraphie osseuse a permis d’observer que les pièces osseuses les plus souvent atteintes sont par ordre de fréquence décroissante l’os iliaque (70 %), le rachis lombaire (60 %), le fémur, le rachis dorsal, le sacrum, le crâne (40 %), le tibia (35 %), l’humérus, l’omoplate, le rachis cervical, les côtes, le sternum, les clavicules, la face, le calcanéum (10 %), mais aussi les petits os de la main et du pied (5 %).
La maladie ne touche jamais le squelette entier et ne progresse que dans les pièces osseuses déjà partiellement atteintes, sans s’étendre d’os en os au décours de la vie.
La scintigraphie ne doit pas être répétée lors du suivi.
E – Signes biologiques :
Ils reflètent l’hyperactivité du remodelage pagétique caractérisé par une augmentation considérable du nombre et de la taille des ostéoclastes et par une augmentation parallèle du nombre des ostéoblastes dont la production quotidienne individuelle de matrice osseuse est en outre presque doublée.
Cette surproduction ostéoblastique aboutit à un os anormal dont l’architecture ostéonique et la texture lamellaire sont désorganisées, ce tissu osseux étant de ce fait anormalement fragile malgré l’ostéocondensation.
1- Hyperactivité ostéoblastique :
Elle se traduit par une élévation souvent importante des phosphatases alcalines sériques totales où la phosphatase alcaline spécifique osseuse ne participe que pour moitié environ.
Le taux des phosphatases alcalines sériques totales est proportionnel à l’étendue de la maladie dans le squelette et ce taux peut demeurer normal en cas d’atteinte mono-osseuse.
Dans cette situation le dosage de la phosphatase alcaline osseuse peut être utile pour le suivi thérapeutique.
Le résultat des phosphatases alcalines sériques totales est exprimé en unités internationales mais les valeurs de référence varient beaucoup d’un laboratoire à l’autre en raison de l’hétérogénéité des trousses de dosage.
Le taux sérique de l’ostéocalcine n’est qu’inconstamment augmenté et n’a pas d’utilité pratique.
2- Hyperactivité ostéoclastique :
Elle se traduit par une élévation de l’hydroxyprolinurie totale et des nouveaux marqueurs urinaires de résorption plus spécifiques et plus sensibles.
L’hydroxyprolinurie, mesurée soit sur les urines de 24 heures, soit sur les urines du matin (2 heures) après 48 heures de régime sans gélatine et exprimée par gramme de créatinine urinaire est en général fortement augmentée, avec là aussi des taux proportionnels à l’étendue de la maladie.
Elle peut cependant être normale dans les formes peu étendues où les dosages de pyridinolinurie et des peptides C- et N-terminaux du collagène paraissent intéressants.
Ces deux types de marqueurs doivent être évalués tous les 6 mois lors du suivi thérapeutique.
3- Autres paramètres biochimiques :
La calcémie est presque toujours normale, sauf en cas d’immobilisation complète chez un pagétique où une hypercalcémie transitoire peut être observée.
La calciurie est variable, parfois élevée en cas d’immobilisation ou basse en cas d’insuffisance calcique et (ou) vitaminique D.
La parathormonémie peut être élevée (environ 15 % des cas) du fait d’un hyperparathyroïdisme secondaire induit par une demande calcique osseuse non satisfaite souvent associée à une hypovitaminose D.
Le taux de la 25 OH vitamine D sérique est fréquemment abaissé chez les pagétiques âgés ayant des difficultés locomotrices et exposés à l’anhélie.
La vitesse de sédimentation est normale. Au total, les éléments clés du diagnostic positif sont radiologiques, scintigraphiques et biologiques.
Le diagnostic positif est en règle facile. Il doit être le plus précoce possible.
F – Diagnostic différentiel :
1- Ostéopathies condensantes ou déformantes localisées, multi-osseuses ou mono-osseuses :
• Métastases ostéocondensantes des cancers, en particulier du cancer prostatique, ou les localisations osseuses de la maladie de Hodgkin ; ces lésions n’entraînent jamais d’hypertrophie des pièces osseuses.
• Dysplasie fibreuse des os, poly-osseuse ou mono-osseuse, isolée ou incluse dans un syndrome de McCune Albright (taches café au lait, puberté précoce ou autres endocrinopathies) ; elle peut hypertrophier les pièces osseuses qui paraissent soufflées mais ont des corticales minces.
Elle se complique surtout de fractures.
Elle n’entraîne qu’une élévation modérée des marqueurs biochimiques du remodelage et une hyperfixation scintigraphique plus faible que dans la maladie osseuse de Paget.
En cas de doute la biopsie osseuse tranchera, montrant une invasion massive des espaces médullaires par une fibrose dense et tourbillonnante ainsi que des plages d’os tissé.
• Ostéite hypertrophiante du SAPHO (syndrome acné – pustulose – hyperostose – ostéite), ostéomyélite chronique, syphilis osseuse.
• Angiome vertébral, marqué par une trabéculation verticale épaisse mais sans hypertrophie du corps vertébral.
2- Ostéocondensations diffuses :
La fluorose squelettique, les ostéopétroses, la myélofibrose et la dysplasie cranio-métaphysaire, n’ont pas de similitude avec les aspects localisés de la maladie osseuse de Paget.
En cas de doute, la biopsie osseuse retrouvera les caractéristiques histologiques de la maladie de Paget : désorganisation de l’architecture ostéonique, texture lamellaire anarchique, multiples ostéoclastes polynucléés, hyperostéoblastose, hypervascularisation médullaire.
Évolution :
Elle est lente, s’étalant sur des années, marquée par la progression des lésions dans les pièces osseuses atteintes, l’apparition de symptômes au niveau de foyers jusque-là latents et surtout de complications souvent très invalidantes dont la prévention est un objectif essentiel à long terme de la thérapeutique.
A – Complications :
1- Arthropathies :
Elles sont les plus fréquentes, touchant particulièrement la hanche et le genou où elles entraînent des symptômes et des atteintes du cartilage voisines de celles des arthroses.
Au niveau de la hanche, il s’agit presque toujours d’une coxopathie pagétique comportant un enraidissement douloureux et un pincement de l’interligne articulaire surtout interne.
Elle est favorisée par la protrusion acétabulaire et la coxa vara.
Parfois l’enraidissement douloureux n’est pas dû à une altération de l’interligne mais à l’hypertrophie du trochanter qui en abduction vient buter sur la région suscotyloïdienne.
L’arthropathie pagétique du genou est plus rare que la coxopathie avec arthrose fémoro-tibiale interne secondaire au genu varum créé par les incurvations tibiale ou fémorale.
D’autres arthropathies pagétiques peuvent être observées au niveau de la tibio-tarsienne, du coude, du poignet, de l’épaule.
Au niveau du rachis les déformations des corps vertébraux favorisent les discopathies et l’arthrose interarticulaire postérieure lombaire.
2- Fractures sur os pagétique :
Elles s’observent avec une prévalence de 5 à 20 % selon les séries.
Il s’agit de fractures diaphysaires transversales avec souvent gros déplacement, parfois annoncées par des fissures de la convexité diaphysaire.
Elles touchent surtout le fémur, un peu moins souvent le tibia ou l’humérus.
Le traumatisme causal est en général très modéré et peut être absent, une fracture spontanée pouvant révéler une maladie osseuse de Paget jusqu’ici méconnue ou pouvant être secondaire à la dégénérescence sarcomateuse d’une maladie osseuse de Paget connue.
La consolidation se fait le plus souvent dans des délais normaux mais les ostéosynthèses peuvent être difficiles.
3- Complications neurologiques :
Elles sont secondaires aux atteintes crânienne et rachidienne.
• Une hypoacousie est observée chez environ un tiers des patients ayant un Paget du crâne.
Elle est souvent bilatérale et lentement progressive, totalement irréversible malgré le traitement.
Il s’agit d’une surdité à la fois de perception et de transmission.
La compression ou l’étirement des nerfs optiques ou olfactifs sont exceptionnels.
L’impression basilaire peut entraîner une hydrocéphalie à explorer par tomodensitométrie et surtout imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM).
Les syndromes cérébelleux, pyramidal bilatéral, cordonal postérieur sont encore plus rares.
• Les atteintes rachidiennes peuvent entraîner des compressions radiculaires (sciatique, cruralgie, névralgie intercostale) mais surtout médullaires et de la queue de cheval.
Les souffrances médullaires compliquent surtout les localisations dorsales de la maladie osseuse de Paget.
Elles entraînent des signes pyramidaux, une dissociation albumino- cytologique, une compression à limite nette sur la myélographie ou l’imagerie par résonance magnétique.
Il s’agit soit d’une striction mécanique d’origine osseuse ou veineuse, soit d’une ischémie médullaire par hémodétournement au profit des zones osseuses.
Ces symptômes peuvent régresser rapidement après bisphosphonates intraveineux qui doivent toujours être administrés avant de discuter une laminectomie.
4- Dégénérescence sarcomateuse :
Elle est rare mais très grave.
Elle s’observe selon les auteurs chez 1,5 à 10/1 000 des pagétiques.
Elle touche le plus souvent l’humérus, le fémur, le tibia, l’os iliaque, le crâne.
Elle se révèle par l’apparition de douleurs intenses, d’une tuméfaction, d’une fracture spontanée, d’une augmentation de la vitesse de sédimentation.
Les radiographies montrent une image ostéolytique avec rupture précoce de la corticale.
La biopsie osseuse, rapidement pratiquée, va montrer dans les deux tiers des cas un sarcome ostéogénique, plus rarement un fibrosarcome, exceptionnellement un chondrosarcome.
Ils se compliquent rapidement de métastases surtout pulmonaires, avec une survie moyenne inférieure à 12 mois, malgré la chirurgie d’exérèse ainsi que la radiothérapie ou la chimiothérapie auxquelles ils sont peu sensibles.
5- Complications vasculaires :
Elles ont été imputées à la maladie osseuse de Paget : augmentation du débit cardiaque avec insuffisance ventriculaire gauche, surtout dans les maladies osseuses de Paget multiosseuses, fréquence accrue de la médiacalcose artérielle.
B – Évolution sous traitement :
Les douleurs osseuses et le risque de complications sont très favorablement influencés par les traitements anti-ostéoclastiques en particulier par les bisphosphonates de nouvelle génération (tiludronate, pamidronate intraveineux) qui représentent une avancée thérapeutique indiscutable.
Il a été montré en particulier qu’ils étaient capables de normaliser les aspects histologiques osseux de la maladie.