Ulcères d’origine veineuse Dermatologie
Ulcères d’origine veineuse
A – Étiologie, physiopathologie :
L’ulcère est la phase tardive de l’évolution d’une insuffisance veineuse chronique qui peut être d’origine essentielle ou post-thrombotique.
Dans l’insuffisance veineuse superficielle essentielle, des facteurs congénitaux et (ou) d’environnement sont responsables de l’atteinte de la paroi veineuse et des valvules avec apparition de varices primitives, d’insuffisance valvulaire et de reflux.
Le reflux aura d’autant plus de conséquences qu’il atteint l’une des crosses d’abouchement de la voie veineuse superficielle dans la voie veineuse profonde : crosse de la veine grande saphène (saphène interne) à son abouchement dans la veine fémorale au niveau du creux inguinal ou crosse de la veine petite saphène (saphène externe) à son abouchement dans la veine poplitée au niveau du creux poplité.
Dans l’insuffisance veineuse post-thrombotique, la thrombose est à l’origine d’obstruction ou de dévalvulation des veines profondes, responsables d’un reflux et de l’apparition de varices secondaires dans le territoire superficiel.
Dans les deux cas, apparaît une hypertension veineuse, dite ambulatoire : la pression veineuse, élevée au niveau des veines du pied en position debout, ne diminue pas à la marche grâce à la fonction pompe du mollet comme chez le sujet normal.
Cette hypertension veineuse serait responsable d’abord de troubles de la microcirculation prédominants en zone périmalléollaire puis de l’ulcère.
B – Diagnostic positif :
1- Signes cliniques :
• L’interrogatoire précise l’ancienneté de la maladie variqueuse et les traitements pratiqués, les antécédents éventuels de phlébites, les signes fonctionnels (lourdeurs de jambe, douleurs), l’ancienneté et le mode de déclenchement de l’ulcère (spontané ou après un petit traumatisme) et l’existence d’éléments en faveur d’une artériopathie associée (claudication intermittente…).
• L’examen précise la localisation, la taille (mesures, calques et photographies régulières), l’aspect du fond et des bords de l’ulcère.
L’ulcère dit « variqueux » (sur insuffisance veineuse essentielle) est localisé préférentiellement au niveau de la face interne de jambe, en zone périmalléolaire interne, parfois en zone périmalléolaire externe.
Il peut être de grande taille et est habituellement peu douloureux.
Ses bords sont souples.
L’ulcère post-thrombotique est souvent plus douloureux, à bords indurés et rebelle.
L’examen précise l’aspect du fond de l’ulcère, permettant de décider du traitement local.
L’ulcère peut être propre ou sale, infecté (exsudat jaune grisâtre, parfois bleu-vert en cas de colonisation par un bacille pyocyanique).
Le fond peut être fibrineux, recouvert d’un dépôt grisâtre, ou atone.
Le fond peut être bourgeonnant, en voie de cicatrisation (comblement du fond de la perte de substance par des bourgeons ou un granité rougeâtre).
Au dernier stade de cicatrisation, l’ulcère s’épidermise à partir des bords.
• L’examen des téguments péri-ulcéreux permet de préciser les altérations tégumentaires chroniques : dermite pigmentaire ocre, atrophie blanche (plaques blanc nacré d’allure cicatricielle mais spontanées, associées à quelques télangiectasies), télangiectasies bleuâtres en chevelu ou nodules bleutés veineux, hypodermite scléreuse (aspect de botte ou guêtre sclérodermiforme) pouvant engainer aussi le pied.
Cette hypodermite scléreuse est souvent plus marquée dans l’ulcère post-thrombotique.
On notera aussi l’existence d’un oedème veineux à prédominance vespérale et d’une insuffisance lymphatique associée responsable de lésions cutanées papillomateuses et hyperkératosiques et des complications locales : eczéma, infection.
• L’examen vasculaire des membres inférieurs comprend l’examen phlébologique, en position debout, pouvant montrer des varices du réseau veineux superficiel : varices de la grande saphène (saphène interne), le long de la face interne de la cuisse ou de la jambe, de la petite saphène (saphène externe) à la face postérieure de la jambe, au niveau saphène antérieur à la face antérieure de la cuisse.
Parfois les varices ne sont pas systématisées.
Des épreuves de percussion et d’impulsion à la toux permettent de dépister une incontinence valvulaire des crosses.
Les autres épreuves cliniques (garrot…) ont perdu de leur intérêt depuis l’utilisation de l’échographie doppler.
Le reste de l’examen clinique angéiologique évalue une éventuelle participation artérielle : présence de claudication intermittente à l’interrogatoire, pouls périphériques non perçus…
• L’examen clinique vérifie aussi l’état de nutrition du patient ainsi que l’absence d’anomalie musculo-squeletique au niveau de la cheville (ankylose de l’articulation tibio-tarsienne) ou de la voûte plantaire qui sont à corriger car ce sont des facteurs d’entretien de l’ulcère.
2- Examens complémentaires :
• L’écho-doppler pulsé veineux permet de confirmer, de localiser et d’apprécier l’intensité des incontinences valvulaires et des reflux dans les troncs veineux profonds et (ou) superficiels (incluant les veines perforantes) ou de montrer, plus rarement, un syndrome obstructif des troncs profonds.
L’existence d’un reflux de la voie veineuse profonde est évocatrice d’un syndrome postthrombotique mais il peut aussi s’agir d’une insuffisance valvulaire profonde primitive.
• L’examen doppler artériel avec prises des indices de pressions systoliques permet d’éliminer une atteinte artérielle associée.
• Les prélèvements bactériologiques de l’ulcère infecté sont rarement nécessaires sauf s’il existe des signes de diffusion de l’infection (lymphangite, érysipèle…).
• Selon l’état du patient seront pratiqués un examen nutritionnel, un bilan d’insuffisance cardiaque…
C – Diagnostic différentiel :
1- Mal perforant plantaire :
Ses causes principales sont le diabète, l’acropathie ulcéromutilante familiale de Thévenard ou la forme sporadique acquise dite de Bureau et Barrière, la lèpre, les malformations de la charnière et la syphilis.
2- Exulcérations ou érosions :
Elles sont plus superficielles.
3- Ulcères d’origine artérielle :
Ils sont la conséquence d’une ischémie cutanée.
4- Ulcères de causes rares :
Leurs causes sont multiples.
D – Évolution :
1- Complications locales :
• L’eczématisation peut survenir sous forme de plaques érythémateuses, prurigineuses, parfois squameuses.
Il peut s’agir d’un véritable eczéma de contact allergique souvent suintant, vésiculeux, très prurigineux ou d’une dermite d’irritation plus souvent vernissée, parfois squameuse, bien limitée, s’accompagnant d’une sensation de brûlure.
Cette irritation est due à des topiques locaux mal utilisés (savon liquide non rincé, mauvaise dilution…).
• Les infections des téguments péri-ulcéreux à type soit d’une simple dermo-épidermite (érythème chaud, souvent intriqué avec des lésions eczématiformes), d’une lymphangite ou d’un érysipèle (placard rouge chaud douloureux avec souvent adénopathie satellite, fièvre, peuvent évoluer vers une cellulite nécrosante.
• Phlébites superficielles ou profondes.
• Hémorragies au niveau de l’ulcère.
• Raideur ou blocage de l’articulation tibio-tarsienne.
• Dégénérescence carcinomateuse : de type épidermoïde, elle est exceptionnelle, sur un ulcère très ancien.
2- Complications générales :
Elles regroupent des affections diverses : tétanos, autres infections générales, impotence fonctionnelle.
3- Récidive :
La récidive est fréquente.
E – Traitement :
Le traitement de l’ulcère veineux vise à cicatriser la plaie et à prévenir les récidives.
Il tient compte du bilan vasculaire mais aussi de l’état général du patient et du contexte socio-économique.
Le traitement étiologique comprenant la contention et visant à diminuer l’hypertension veineuse ambulatoire est plus important que le traitement local.
Selon les indications, la chirurgie et (ou) la sclérothérapie associées à une contention ou une contention seule seront réalisées.
La vaccination antitétanique doit être faite ou remise à jour. Les antalgiques seront adaptés aux besoins en particulier avant les soins locaux.
1- Traitement local symptomatique :
Le schéma classique associe désinfection, détersion des zones fibrineuses, bourgeonnement qui comble la perte de substance et épidermisation (à partir des bords de l’ulcères).
• Le nettoyage ou la désinfection, si l’ulcère est propre, peuvent être effectués avec de l’eau stérile ou du sérum physiologique.
Si l’ulcère est infecté, il peut être nettoyé lors d’un bain de jambe ou d’une toilette avec un savon liquide dilué à rincer soigneusement ou un antiseptique.
L’utilisation des antibiotiques locaux (et des antiseptiques) est très discutée car ils freineraient la cicatrisation et peuvent être responsables de sensibilisation ou de sélection de germes résistants.
Ils peuvent éventuellement être utilisés pendant 3 ou 4 jours si l’ulcère est très sale (Flammazine) ou surinfecté par un bacille pyocyanique (exsudat bleu vert à odeur caractéristique).
• La détersion peut être mécanique à la pince, curette, ciseaux (sous prémédication) réalisée lors des pansements.
Elle peut être chirurgicale pour les ulcères rebelles à socle scléreux.
Des pansements gras (par ex. : vaseline pendant 24 h) ou des enzymes protéolytiques (par ex. : Elase pommade avec protection des téguments péri-ulcéreux à la pâte à l’eau) sont aussi utilisés.
Les pansements plus récents absorbent les sécrétions et débris tissulaires et agissent à la fois au stade de détersion et de bourgeonnement (hydrogels, alginates) ou aux 3 stades détersion, bourgeonnement, épidermisation (hydrocolloïdes).
• Le bourgeonnement est classiquement favorisé par des corps gras d’où l’utilisation de tulles imprégnés de topiques : tulle vaseliné (par ex. : Jelonet) ; tulle gras contenant du baume du Pérou (tulle gras Lumière, parfois allergisant) ; hydrocolloïdes, pansements occlusifs et absorbants, composés de carboxyméthylcellulose (par ex. : Comfeel plus, Duoderm E sous forme de plaque ou de pâte) ; des hydrogels composés de crilanomère, gel dérivé de l’amidon (par ex. : Intrasite gel) ; des alginates de calcium, extraits d’algues (par ex. : Algostéril) ; des hydrocellulaires (par ex. : Allevyn plaque).
Ces pansements récents permettent de créer au niveau de l’ulcère un microclimat humide qui serait favorable au bourgeonnement et à l’épidermisation.
La détersion est moins douloureuse.
Les pansements sont plus espacés (tous les 2 jours puis 2 fois par semaine et 1 fois par semaine).
La durée et le coût global des soins infirmiers seraient réduits.
• L’épidermisation est favorisée par les corps gras, les hydrocolloïdes et hydrocellulaires peuvent encore être utilisés à ce stade.
Les greffes dermo-épidermiques en pastilles ou en résille permettent d’accélérer l’épithélialisation et sont très utiles lors des ulcères de grande taille.
• Les téguments péri-ulcéreux sont traités en fonction de la lésion :
– eczéma et dermite ulcéreuse : antiseptiques locaux et dermocorticoïdes ou pâte à l’eau, crème Dalibour;
– sécheresse cutanée : huile d’amandes douces ou cérat de Galien;
– peau inflammatoire sans infection nette : pommade de Dalibour.
2- Contention veineuse :
La contention est considérée par de nombreux auteurs comme le principal traitement local de l’ulcère veineux.
Plus de la moitié des échecs de cicatrisation seraient dus à une contention mal appliquée ou non portée.
Il faut prendre le temps d’en expliquer l’intérêt au patient et contrôler ultérieurement sa bonne mise en place.
Prescrire soit une bande rigide à extension courte ou une bande élastique à extension longue (par ex. : bande élastique Biflex forte 3,5 m de long et 10 cm de large, à mettre le matin avant le lever, en commençant par la racine des orteils et à ôter le soir).
Après la cicatrisation, le relais peut être assuré par des bas de contention de classe 2 (par ex. : Venoflex 2, Sigvaris 502, au besoin sur mesure).
Le repos en position de drainage veineux doit être conseillé surtout s’il existe un oedème : décubitus dorsal, pieds du lit surélevés de 10 cm, en particulier en cas d’ulcère rebelle ou position assise, jambes allongées sur un tabouret.
3- Traitement chirurgical :
La place de la chirurgie est souvent sous-estimée dans le traitement de l’ulcère de jambe.
Le geste chirurgical, qui peut être réalisé sous anesthésie péridurale ou locorégionale, est effectué le plus souvent après la cicatrisation de l’ulcère ou parallèlement au traitement local en cas d’ulcère rebelle.
En cas d’insuffisance veineuse superficielle isolée, un stripping de la saphène interne incontinente peut être réalisé, associé à une ligature des perforantes incontinentes.
Parfois une simple crossectomie (crosse de la saphène interne ou externe) est proposée.
D’autres techniques d’éveinage peuvent être utilisées.
Le traitement chirurgical sera complété par des sclérothérapies et une contention puis une surveillance régulière et prolongée.
La chirurgie du réseau veineux profond est plus complexe et sera réalisée, dans certaines indications et en cas d’échec du traitement médical, en centre spécialisé.
4- Sclérothérapie :
Il s’agit de l’injection d’une substance irritante responsable d’une réaction inflammatoire, d’une fibrose et de l’oblitération de la veine incontinente.
Les séances sont espacées de 15 jours à 1 mois.
Ce traitement est le plus souvent réalisé en complément d’un geste chirurgical.
5- Autres traitements :
De nombreux produits ont été essayés à titre adjuvant (phlébotropes).
La mobilisation des articulations du pied et de la jambe pour aider la fonction pompe du mollet, la gymnastique anti-stase ainsi que la crénothérapie peuvent constituer un complément utile.
6- Prévention de l’ulcère veineux :
Elle est essentielle : traitement des varices avant le stade de l’ulcère, traitement préventif des phlébites.
7- Prévention de la récidive :
Elle sera assurée par le port permanent d’une contention.